Le législateur ne peut priver les contribuables d’une espérance légitime de bénéficier d’un régime fiscal favorable institué pour une durée prévisible.
Le 18 juin 2009, trois filiales intégrées avaient conclu un accord d’intéressement applicable pour une durée de trois ans courant à compter de l’exercice ouvert le 1er janvier 2009.
Les filiales avaient alors bénéficié d’un crédit d’impôt intéressement pour les primes dues au titre des exercices 2009 et 2010. En revanche, aucun crédit d’impôt intéressement n’a pu être constaté au titre de l’exercice 2011 puisque les filiales ne remplissaient plus les nouvelles conditions d’effectif introduites par la loi de Finances pour 2011 et applicables dès le 1er janvier 2011.
Pour mémoire, les entreprises ayant conclu un accord d’intéressement (ou un avenant à un tel contrat) entre le 4 décembre 2008 et le 31 décembre 2014 bénéficient d’un crédit d’impôt égal à 20% de la différence entre la prime d’intéressement dues en vertu de l’accord d’intéressement et la moyenne des primes dues au titre de l’accord précédent.
Ce mécanisme, codifié à l’article 244 quater T du Code général des impôts, a été modifié par la loi de Finances pour 2011 pour en restreindre le champ d’application aux entreprises employant moins de 50 salariés ; un aménagement était toutefois prévu pour les entreprises appartenant à un groupe fiscal employant moins de 250 salariés ou ayant elle-seule un effectif de moins de 250 salariés.
Les sociétés ont donc fait valoir que :
Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise[1] avait rejeté la demande et la Cour administrative d’appel de Versailles[2] avait, à son tour, rejeté leur appel.
Très attendu, le Conseil d’Etat[3] considère que les sociétés avaient une espérance légitime à pouvoir bénéficier du crédit d’impôt intéressement sur trois ans de sorte que la Cour administrative d’appel de Versailles a donné aux faits qui lui étaient soumis une qualification juridique erronée :
« Il résulte de ces dispositions fiscales, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le crédit d’impôt, qui est calculé au titre des primes d’intéressement versées en application d’un accord d’intéressement signé durant cette période, bénéficie aux entreprises pendant la période triennale de l’accord. Ces dispositions étaient de nature à laisser espérer leur application sur l’ensemble de la période triennale pour laquelle est conclu un accord d’intéressement (…).
Par suite, en jugeant qu’en excluant du bénéfice du crédit d’impôt intéressement les entreprises de plus de 250 salariés à compter de l’année 2011, le législateur n’avait pas privé la société Dekra France et ses filiales d’une espérance légitime d’en bénéficier jusqu’au terme de la période triennale de l’accord d’intéressement que ses filiales avait signé en juin 2009 et qui courait à compter du 1er janvier 2009, la cour a donné aux faits qui lui étaient soumis une qualification juridique erronée ».
Le Conseil d’Etat annule donc l’arrêt du 20 juillet 2017 et renvoie l’affaire à la Cour administrative d’appel de Versailles. Nul doute que celle-ci confortera la position claire du Conseil d’Etat. Cette affaire s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence EPI[4]. Il faut donc toujours espérer lorsqu’on intéresse ses salariés !
[1] Tribunal administratif de Cergy-Pontoise n°1401204 du 19 avril 2016
[2] Cour administrative d’appel de Versailles n°16VE01776 du 20 juillet 2017
[3] Conseil d’Etat n°414482 du 6 juin 2018
[4] CE, Société EPI, n°308996, 9 mai 2012 sur le bénéfice du crédit d’impôt pour création d’emplois