Le Conseil d’État, par deux décisions du 14 juin 2022 (n°458579 SA Bricolage Investissement France et n°454107 Sté Manitou BF), renvoie à la CJUE une question préjudicielle sur la compatibilité des règles françaises de l’intégration fiscale avec la liberté d’établissement.
Pour rappel, cette dernière a jugé dans l’affaire Steria que la neutralisation de la quote-part de frais et charges (QPFC) en situation d’intégration fiscale était incompatible avec la liberté d’établissement, en ce qu’elle ne s’appliquait pas aux produits de participation reçus de filiales établies dans d’autres États membres (QPFC de 5% pour les filiales européennes).
Postérieurement à cette décision, le législateur a modifié le régime applicable en prévoyant une QPFC au taux réduit de 1% pour les produits de participation reçus de filiales françaises intégrées ou, sous certaines conditions, établies dans un autre États membres, mais a maintenu le taux de 5% de la QPFC pour les produits de participations reçus lorsque la société française n’était pas, par choix, membre d’un groupe d’intégration fiscale.
Les sociétés Bricolage Investissement France et Manitou BF, non-membres d’un groupe intégré – bien qu’elles en remplissaient les conditions – ont perçu en 2011 et 2012 des dividendes de filiales européennes détenues à 100%. Invoquant une entrave à liberté d’établissement, ces dernières ont réclamé le remboursement de l’imposition correspondant à la quote-part de frais et charges de 5% appliquée à ces dividendes.
Censurant la position de l’administration, la Cour administrative d’appel de Versailles a considéré, en s’appuyant sur la décision Steria, que la situation des sociétés appartenant à un groupe fiscal intégré est comparable à celle des sociétés n’appartenant pas à un tel groupe, et donc que la QPFC de 5% n’avait pas lieu de s’appliquer (CAA Versailles, 19 oct. 2021, n°19VE04061, SA Bricolage Investissement France et n°18VE02710, Sté Manitou BF).
Sur pourvoi du Ministre, le Conseil d’État décide de surseoir à statuer et saisit la CJUE à titre préjudiciel. La Cour de Luxembourg devra se prononcer sur la question de savoir si la portée de l’arrêt Steria de la CJUE dépendait du point de savoir si la société mère bénéficiaire des dividendes était ou non membre d’un groupe intégré lorsque les conditions pour la constatation d’un tel groupe étaient réunies.
L’issue donnée par la CJUE nécessitera également de nous interroger sur la conventionalité de la législation française actuelle, qui prévoit notamment que les distributions effectuées par une société européenne à une société mère française (hors cas des sociétés mères « isolées ») ne sont pas éligibles au taux réduit de QPFC de 1% si la non-appartenance de la société française à un groupe est uniquement due à un choix alors même qu’elle remplissait les conditions objectives pour être intégrée.